Gratuivorisme

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Né dans les années 60 à San Francisco, le gratuivorisme est un mouvement communautaire anarchiste qui prône un mode de vie alternatif au capitalisme moderne. Il s’exprime à ses débuts par des distributions de nourriture lors de représentations de théâtre de rue par une troupe d’actions communautaires radicales nommés The Diggers.

Le gratuivorisme est le calque français du mot valise et néologisme anglais freeganism, inventé en 1994 par un militant antinucléaire et co-fondateur du collectif Food Not Bombs, Keith McHenry, qui proteste contre la guerre et la pauvreté en distribuant de la nourriture. Ce n’est qu’en 1999 que le mouvement se mondialisera sous la plume du batteur du groupe Punk Against me! Warren Oakes à travers la diffusion de son manifeste « Why Freegan ? An attack on consumption – in defense of donuts »,

Une traduction, gratuivorisme, qui offre étymologiquement plus de marge de manœuvre à la forme française du mouvement ! Du latin gratuitus (que l’on donne librement) et vorare (dévorer), le gratuivore mange tout ce qui est gratuit quand le freegan, limite sémantiquement sa consommation à tout produit qui n’est pas d’origine animale.

Si refuser de payer pour manger est à la base du mouvement, ses courants modernes amènent le gratuivore 2.0 à remettre en cause la « commercialisation » d’autres besoins primaires comme le logement et l’énergie.

À l’aube d’une crise inflationniste sans précédent depuis plus de 40 ans, le gratuivorisme s’impose à de nombreux Français comme une alternative concrète pour améliorer au quotidien leur pouvoir d’achat : jardinage collectif, transformations d’invendus, troc, grappillage, cueillette sauvage ou encore récupération de nourriture dans les poubelles (dumpster diving)…

Le gratuivorisme : glanage 2.0

Déjà en 2000, la réalisatrice Agnès Varda présentait dans son film documentaire Les Glaneurs et la Glaneuse une série de portraits de ces Français qui, pour (sur)vivre, glanent au quotidien leur nourriture du champ à la poubelle.

Un glanage (tout ce qui est à terre) et un grappillage (ce qui est sur l’arbre), inscrits dans le droit moyenâgeux le 2 novembre 1554 par un édit du roi Henri II : « Combien que par les degrez de charité, l’homme ne puisse moins faire pour son prochain que de luy estre liberal de ce qui ne lui profite point et qui pourrait un peu profiter à autrui. » !

Une loi, certes écrite en vieux français, mais toujours en vigueur, que la grande distribution semble avoir oubliée en apposant clés et cadenas sur ses poubelles… à défaut de ne plus pouvoir asperger ses déchets d’eau de javel depuis une loi votée en 2015…

Des déchets alimentaires jetés à la poubelle qui inspirent en 2019 l’Advertising Agencies Association of India, qui, pour sensibiliser la conscience des jeunes créatifs, produit des affiches entièrement réalisées à partir des déchets retrouvés… dans les poubelles mêmes des agences !

Je gaspille, tu gaspilles… ils gaspillent !

Chaque année en France, 10 millions de tonnes de produits alimentaires sont perdus et gaspillés. Un volume qui représente une valeur commerciale estimée à plus de 16 milliards d’euros selon les derniers chiffres de l’ADEME (Agence de l’Environnement et de la Maîtrise de l’Energie) publiés ce 13 octobre 2022 par le ministère de l’écologie.

Coupable idéal, le consommateur est donc régulièrement sensibilisé par le ministère de l’agriculture et de la souveraineté alimentaire, qui n’hésites pas à glaner les héros des contes de notre enfance pour faire passer ses messages, dixit le communiqué de presse : « Le Corbeau et le Renard, Blanche-Neige, Cendrillon, mais aussi Peau d’Âne, le Petit Poucet, Boucle d’or et la Reine des neiges… qui mieux que ces héros populaires pouvaient montrer l’exemple, à travers une version détournée de leurs aventures ? ».

Pourtant, selon la même étude du ministère, 67% du gaspillage proviennent des phases de production (32%), de transformation (21%) et de distribution (14%) et donc… des marques et entreprises. Le consommateur, lui, n’est en finalité responsable qu’à hauteur d’un tiers de l’ensemble de la déperdition alimentaire française.

D’ailleurs, il suffit d’aller faire un tour sur les plus grands outils de veille publicitaire pour constater la grande absence des marques et l’omniprésence des associations et ONG sur un sujet visiblement encore trop sensible quand la pub est censée faire vendre, toujours plus…

Référence pour admirer de la belle création, le Club des DA n’archive quant à lui sur le sujet que des projets étudiants… dont plusieurs signés par des étudiants de Sup de Pub !

Si c’est gratuit (ou presque), c’est vous le produit !

Ayant conscience de l’impact sur les marques et des changement sociétaux que la « consom’action » entraine, nous assistons ces dernières années à l’émergence de business modèles qui prônent la décroissance et la consommation responsable.

Reconditionnement, remise en circuit des invendus, troc… partout en France fleurissent des modèles alternatifs et solidaires qui « profitent » du gaspillage des uns pour offrir aux autres.

Mais derrière toute tendance sociétale il y a, aussi forcément un business ! Si le gratuivorisme n’est pas encore à l’ordre du jour des multinationales, un entre-deux est en train de faire une apparition remarquée dans l’économie : la seconde main et la seconde vie.

Explosion de To Good to Go, campagne d’affichage pour Vestiaire Collective, avènement de Back Market, leboncoin propulsé en licorne, retour d’eBay en télévision (comme par hasard)… les invendus et déjà vendus sont-ils les futures stars de nos rayons ?

Pokémon Go, version freegan !

Noix de pécan au jardin public de Bordeaux, ail des ours au parc de la Tête d’Or de Lyon ou encore pommes roses aux abords du Champ-de-Mars à Paris… l’organisation Falling Fruit recense dans une carte collaborative tous les spots de glanage et cueillage du monde entier !

Géolocalisation, qualité de la ressource, période de récolte possible… tout est à votre disposition pour toutes vos envies de gratuivorisme !

bIBLIOGRAPHIE

  • Agriculture et alimentation : comment mangera-t-on en 2050  ?, Libération, 21 octobre 2022
  • Why Freegan? An Attack on Consumption – In Defense of Donuts, Warren Oakes, 1999
  • Gratuivorisme: «C’est refuser de payer pour manger, c’est-à-dire pour vivre», Libération, 18 juillet 2022
  • Antigaspillage, solidarité, partage… bienvenue dans le mouvement « freegan », Reporterre, 8 septembre 2016
  • Gaspillage alimentaire, Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, 13 octobre 2022
  • Pertes et gaspillages alimentaires : l’état des lieux et leur gestion par étapes de la chaîne alimentaire, ADEME, étude
Mis à jour le 28 octobre 2022