DÉPLASTIFICATION

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Du grec ancien plastikos puis de son synonyme latin plasticus, modelage, moulage, la plastification est une opération ayant pour but d’amener une matière macromoléculaire brute sous une forme plastique par un travail mécanique avec addition éventuelle de plastifiant (Delorme 1962, CNRTL). Agrémentée du préfixe dé-, qui exprime l’action inverse, la déplastification est l’action de supprimer le plastique d’une opération industrielle.

Le néologisme déplastification se démocratise le 28 septembre 2022 lorsque trois ONG environnementales, Surfrider Foundation Europe, Client Earth et Zero waste France déposent un recours en justice auprès du tribunal judiciaire de Paris contre 9 géants de l’alimentaire pour leur manque d’action dans la réduction et la suppression des matières plastiques dans leurs industries.

Ainsi, Carrefour, Casino, Auchan, Les Mousquetaires, Picard Surgelés, Danone, Lactalis, Nestlé France et McDonald’s France sont invités nommément à produire un « choc de déplastification », qui, s’il n’a pas lieu dans les trois prochains mois, verra la mise en demeure se transformer en plainte officielle auprès du tribunal compétent !

Une procédure juridique française unique au monde extrait de la Loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, qui permet à toute ONG de saisir la justice en cas d’atteinte avérée d’une multinationale aux droits humains et à l’environnement.

Une loi qui fait suite à l’effondrement en 2013 au Bengladesh de l’immeuble-usine Rana Plaza. 1138 ouvriers morts et plus de 2000 blessés qui travaillaient en sous-traitance 8h par jour et 6 jours sur 7 pour un salaire de 66$ à la confection de produits textiles Carrefour, Auchan, Gap, Benetton, C&A, Mango, Primark, Camaïeu ou encore H&M… pour ne citer qu’eux.

Le plastique aujourd’hui, c’était fantastique !

« Je ne crois pas que le modèle Amish permette de régler les défis de l’écologie contemporaine », une position d’Emmanuel Macron en 2020 visiblement partagée par l’American Plastics Council, lobby américain du plastique, dans son brief publicitaire de 1997 !

« Plastics Make It Possible ». Une signature digne d’une campagne présidentielle qui devient en 2020, ironie du sort, la signature du nouveau positionnement et programme de « mode durable » de la marque de prêt-à-porter Thommy Hilfiger.

Mais depuis quelques années, un changement radical de paradigme s’applique quant à l’usage et l’utilité d’une matière qui représente la plus grande source de pollution jamais créée à l’échelle planétaire. En 2022, la planète héberge 9 milliards de tonnes de déchets plastiques dont 79% ne sont toujours pas traités. Quant aux 21% restants, 9% sont recyclés et les 12 derniers % incinérés, non sans rejets de CO2 dans l’atmosphère…

Fais comme l’oiseau !

Pesticides, insecticides, urbanisation, réchauffement climatique… il ne manquait que le plastique à l’équation pour parachever la dégradation et disparition de centaines d’espèces dans la faune et la flore. Selon la société royale britannique pour la protection des oiseaux, l’Europe a perdu entre 1980 et 2021 entre 17% et 19% de sa population d’oiseaux, soit la disparition de plus de 600 millions d’individus…

600 millions d’oiseaux auxquels vont s’ajouter ces prochains mois 106 500 alouettes des champs « françaises » que l’Union Européenne avait pourtant prévu de protéger…

Selon une étude de l’University of California, en 2050, 99% des oiseaux mangeront du plastique ! Un record que nous autres humains ne nous ferons pas plumer puisqu’une très sérieuse étude du Département de l’environnement et de la santé de la Faculté des sciences d’Amsterdam démontre qu’en 2021 77% de la population possède déjà des particules de plastique dans son sang.

Bouteilles d’eau, emballage, produits de la mer, bière, sel, miel, sucre, skincare, crème solaire, désinfectant, shampoing, revêtement, peinture, adhésif, textile… chaque semaine, le corps humain absorbe l’équivalent d’une carte bancaire en microplastiques.

D’après une étude italienne, certains bébés naissent même déjà pollués : “C’est comme avoir un bébé cyborg : il n’est plus composé uniquement de cellules humaines, mais d’un mélange d’entités biologiques et inorganiques” racontait Antonio Ragusa en 2020 au Huffington Post après avoir démontré la présence de microplastiques dans 2 tiers des placentas étudiés.

Une nouvelle alimentation plastique qui inspirait la même année le WWF dans une campagne publicitaire multi-primée depuis…

La contre-attaque de la publicité

C’est une technique publicitaire qui a fait ses preuves depuis des décennies et qui s’inspire directement du Judo : exploiter la force de son adversaire pour le renverser et transformer sa propre faiblesse en force !

Greenwashing, anticipation du législateur ou altruisme entrepreneurial, depuis plusieurs années fleurissent de nombreuses innovations dans l’alimentaire autour du sans et moins de plastique. Capsules recyclables Nespresso, packaging en Craft pour les sucres Daddy, briques de lait en carton Candia ou encore paille en papier Capri Sun, tous certifiés FSC (issu de forêts gérées durablement), les produits issus de l’alimentaire font leur révolution !


Attention tout de même à bien choisir ses combats quand pour le papier, l’envers du décor est beaucoup moins séduisant : alors qu’1 litre d’eau est nécessaire pour produire 1kg de plastique, il faut selon l’Office International de l’Eau 500 litres pour fabriquer 1kg de papier et entre 60L et 600L litres pour produire le même kilogramme de carton…

À quand un plastico-score ?

Pourtant, pendant que la déplastification de l’alimentaire est au cœur du viseur des autorités, une autre tendance guette le marché et pourrait potentiellement s’imposer comme LE juge de paix de la consommation de ces prochaines années : la décarbonation.

Ensemble de mesures permettant de réduire l’empreinte carbone pour limiter l’impact sur le climat, la décarbonation s’applique à contrer l’addition des dégâts écocidaires des industriels, et dont la production plastique participe.

Côté food, après l’égoïste Nutri-score (car bénéfice uniquement propre au consommateur), l’idée d’un Éco-score, plus altruiste, commence à faire son chemin auprès des politiques. Fruit d’un calcul complexe alliant mode de production, origine des ingrédients, espèces menacées et emballages, le label est actuellement testé en France sur plus d’une centaine de produits dont ceux de la MDD (Marque De Distributeur) Carrefour.

Une tendance à la consommation écologique que semble clairement identifier et exploiter depuis ce mois d’octobre la marque suédoise de pain croustillant Wasa, qui vient de sortir une nouvelle gamme de produit nommée ostentatoirement « CO2 Detox » !

Un produit et un marketing visionnaires ? Possible.
Souhaitons-leur plus de chance que Volkswagen qui visait en 2009 le « 0 émission carbone » avec une Passat TDI 1.6 impliquée 6 ans plus tard dans le plus gros scandale automobile de tous les temps : le Dieselgate, soit une fraude aux calculs d’émissions de CO2…

Bibliographie

  • Pollution plastique : neuf géants français de l’agroalimentaire mis en demeure par des ONG, LesEchos, 28 septembre 2022
  • Déplastifier sa vie, Nelly Pons, Actes Sud, mars 2022
  • Loi du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, vie-Publique, site internet
  • Tommy Hilfiger lance “Make it Possible”, son nouveau programme de mode durable, Fashion Network, 1 septembre 2020
  • No plastic in nature : assessing plastic ingestion from nature to people, WWF Analysis, 2019
  • Microplastics found in human blood for first time, The Guardian, 24 mars 2022
  • Tout ce qu’on devrait savoir sur le plastique, No More Plastic, site internet
  • Landmark treaty on plastic pollution must put scientific evidence front and centre, Nature, 24 mars 2022
  • Plasticenta : First evidence of microplastics in human placenta, étude scientifique, janvier 2021
  • Eco-Score : l’impact environnemental des produits alimentaires, data.gouv, juillet 2021
Mis à jour le 21 octobre 2022